mardi 5 mai 2015

Jouons décomplexés !

La culture ludique est un adorable paradoxe. Le fondement même de nos aventures rôlistiques, de nos affrontements figurinistes ou de nos triturations intellectuelles diverses n’ont pour d’autre but que de nous permettre de nous évader et faire des choses hors du commun et hors de notre portée.

Pourtant, depuis les années 80-90 et l’âge de pierre du jeu, il est une qualification consacrée qui vise à purement et simplement se moquer et se plaindre tout à la fois d’une frange de la population des joueurs, les “Gros bills”.

Au départ, simple personnage de barbare bas du front dans un magazine de jeux de rôles bien connu, le gros bill avait déjà pour but de se moquer des joueurs “bourrins” qui préféraient l’action à la réflexion ou la discussion, le Gros Bill est devenu ce monstre tentaculaire, objet de mépris et de crainte de la part de ses partenaires ou adversaires parce qu’il va plus loin, trop loin dans l’optimisation et la recherche de la performance.

Gros bill comme à l'époque, dis !!!


Un peu d’histoire.

Ce phénomène est hyper fréquent dans le milieu du jeu de figurines, aidé par une longue tradition issue d’un jeu anglais plutôt confidentiel appelé Warhammer (et son avatar futuriste rempli de succès, Warhammer 40,000). Ces jeux basent leur dynamique ludique sur les déséquilibres inter-factions et même intra-factions, pour rendre les parties plus impressionnantes et plus amusantes. Mais la population tournoyeuse ne l’entendait pas de cette oreille et la recherche de l’optimisation fut rapidement un jeu dans le jeu mais aussi l’occasion de vouer aux gémonies le Gros Wautour, les dés, les règles mais surtout, surtout, les joueurs qui avaient eu l’outrecuidance de venir avec une “compo” optimisée à base de tout ce qui marche dans leur armée.

Plus de marines en couverture, moins d'épique (jeu de mot involontaire).



Les jeux qui ont succédé à Warhammer ont tous pris ce parti pendant des années, certains allant même jusqu’à tenter de promouvoir le jeu en campagne ou ligue pour permettre les déséquilibres et donc inciter au jeu mou, sous couvert de fluff.

Puis en 2003, tout change. Un nouveau jeu arrive sur le marché encore peu encombré de la figurine fantastique : Warmachine. La société éditrice, Privateer Press a un passé récent d’édition de jeu de rôle. Le boss, Matt Wilson a travaillé pour diverses marques de jeu de rôle et surtout comme illustrateur pour Magic the Gathering, un jeu dont la mécanique mathématique stricte est un summum de l’incitation au jusqu’au-boutisme. Du coup, Warmachine s’inscrit dans une nouvelle mouvance, illustrée par sa page 5, désormais légendaire.

Je ne m'en lasse jamais.


“Warning: Not suitable for wussies!
Sissies. Little girls. Nancy boys… go home. This game is not for you.
If you cry when you lose, get lost -- you're going to lose. If it hurts your fragile sensibilities to see your favorite character get pounded unmercifully by a rapid succession of no-holds-barred iron fury, you'd better look the other way. If you've ever whined the words, "That's too powerful," then put the book down slowly and walk away before making eye contact with anyone or they'll realize your voice hasn't changed yet.
This game is about aggression. This is the game of metal-on-metal combat. This is fuel-injected power hopped up on steroids. This is WARMACHINE -- the battles game that kicks so much ass we have to use all capital letters.
We didn't set out to reinvent the wheel with this game -- we just armor plated it, covered it in spikes, and rolled it over your grandma's house. "

Comme vous pouvez le voir, ce n’est pas une ode à la tendresse et à la poésie. Non, c’est un chant guttural au bourrinisme. Une invitation à grand coup de matraque à jouer plus dur et à ne pas se plaindre d’avoir trouvé plus fort.

Le propos est outré volontairement, et paraît à certains être trop “over the top” pour être intéressant. Mais le mérite de cette page et des idées qu’elle énonce pour la première fois dans un jeu de figurine est bien d’enfin promouvoir le jeu décomplexé. Et cela inspirera d’autres gammes (comme Confrontation dans sa version 3.5 puis Age du Ragnarok) et permettra de remplir une niche de la culture stratégique.

Pourtant, tout n’est pas rose dans le monde merveilleux des joueurs et les appellations fleuries à l’attention des joueurs décomplexés sont toujours légions, et ce quelque soit la communauté de figurinistes. Pourquoi ?

I- La culture de la culpabilité.

Il faut bien le dire, le phénomène est majoritairement Européen et il est même endémique en France. Le “Powergamer” et le “Cheesemonger” existent dans les pays anglo-saxons et sont dénoncés haut et fort par les “losers” mais ils n’en attrapent pas de complexes pour autant, et la chasse aux sorcières est moins généralisée que dans notre beau pays. Doit-on blâmer le camembert ? La culture anti-élitiste et profondément égalitaire de la république ? Les racines latines chrétiennes ? Mon tempérament dirait que c’est un peu des trois.

Mais comme je l’ai dit en introduction et manière moins polémique, c’est aussi dû à une histoire du jeu de figurine et de rôle qui visait à la promotion du moins : moins puissant, moins impressionnant, notamment pour permettre d’en vendre plus.

Quand la v2 de D&D proposait des personnages complètement “Broken”, “fumés” avec des pouvoirs qui leur permettait de défoncer des dragons avec une main dans la poche et un doigt dans le nez… ce fut la naissance et l’apogée de Vampire et du Monde des Ténèbres, un univers de JdR dont l’équilibre repose sur la peur de perdre son personnage et la diplomatie forcée par la puissance égale ou supérieure du moindre PNJ.

"Je veux rester seul, j'ai peur j'ai froid, ohooooh, achevez-moi !" (IAM)


Quand la v2 de 40k est une ode au n’importe quoi hyper puissant, permettant des combinaisons absolues de personnages se téléportant au corps à corps à grand coups de hache tronçonneuse en tirant des rafales de missiles dans des armures lourdes et des champs de force… Pour en vendre plus, Games Workshop “nerfe” tout, baisse les caractéristiques et promeut donc un jeu plus mou, basé sur une autre mécanique de jeu neutralisant les actions d’éclat par la multiplication des jets de dés offensifs et défensifs. Mais pour des raisons marketing, cette même marque invente le power-creep, cette façon de coder les références de telle façon que la dernière sortie est toujours la meilleure, ancrant donc le jeu dans un équilibre instable entre le mou-fluffique et le dur-marketing.

Les tournois français multiplient les conventions de jeu pour empêcher le “gros-billisme” et les combinaisons les plus abjectes. C’est l’apogée des formats délirants en 2249 points pour Battle pour empêcher les joueurs de recruter 2 généraux dans une armée ou les conventions de tournoi 40k qui font 14 pages pour les mêmes raisons apparentes  et honnêtes de promouvoir la diversité des listes mais avec l’effet d’annuler le peu de dureté d’un jeu déjà mou du genou.


II- Pointer du doigt est plus facile quand on pointe vers quelqu’un d’autre.


Malgré l’apparition de nouveaux jeux moins complexés, il appert que la condamnation du gros-billisme survit. Dans certaines communauté, il est même très bien vu par les vieux de la vieille de pointer du doigt le “netdecking”, la copie des listes à la mode et faciles à jouer et de provoquer les nouveaux afin de les faire jouer mou. Et les “rebelles” qui veulent jouer une liste forte se voient conspués sur place publique, les forums, et doivent quotidiennement faire face aux quolibets et réflexions des hérauts de la médiocrité qui élèvent au rang de qualité absolue leur inaptitude à améliorer leur niveau de jeu, leur mental, leur humanité.

Parce que le fond du problème est là. Comme le dit la célèbre signature de forums : “It’s not the game, it’s not the list, it’s YOU”. Car oui, le problème n’est pas dans l’équilibre supposé du jeu, ce ne sont pas les références de votre liste, c’est surtout vous et vos petits copains qui avaient des choses à compenser et qui préférez justifier vos défaites à répétitions par la faute des autres, les concepteurs qui ne savent pas coder un jeu, les testeurs qui ne font pas leur travail, les adversaires qui trichent, les dés qui sont pipés, le terrain qui est trop lourd, les sangliers qui ont mangé des cochonneries… tout pour ne pas avoir à affronter la sordide réalité de votre vie ratée : vous avez perdu parce que vous êtes mauvais.

Par pitié, oui, faites-le.


Je ne vous en veux pas d’être un perdant, c’est en définitive le sommet (le fond ?) de votre manque total d’ambition et de possibilités. Votre manière passive et molle de montrer vos crocs émoussés. Vous êtes le parangon du nivellement par le bas et même vos échecs à répétitions sont décevants par leur manque de surprise et de panache.


Vous voulez prendre du plaisir à jouer ? Vous voulez trouver des partenaires plus facilement ? Les conserver ? Arrêtez le ouin-ouin. 

Râlez moins, jouez plus. Mais surtout, arrêtez de trouver des excuses à vos manquements. personne ne joue parfaitement tout le temps. Vous aurez des trous, des coups de malchance apparents et des adversaires plus puissants, mais tant que vous aurez du plaisir à jouer, tout le monde sera gagnant, moi compris parce que je n’aurais plus à lire sur les forums vos incessantes jérémiades sur l’injustice du caniveau sale que constitue votre existence misérable.


III. Perdre. Gagner. S’amuser.


Jouer décomplexé, ce n’est pas non plus écraser vos adversaires de votre superbe ni les humilier et les mettre à genou devant votre puissance infinie. En effet, si l’intérêt pour vous est limité, l’intérêt pour les autres est tout aussi nul.

La compensation du tout petit appendice qui vous sert de cerveau (vous pensiez à autre chose, avouez) ne doit pas se faire au détriment de votre vie sociale. Ne soyez pas ce gagnant que personne n’aime. Ne soyez pas ce gagnant pompeux dont on évacue la partie au plus vite pour pouvoir jouer avec des gens intéressants.

Radiographie d'un joueur en pleine victoire.


Jouer décomplexé c’est ne pas perdre de vue que l’objectif est certes de gagner mais le but est de s’amuser. Et si vous ne vous amusez pas parce que votre égo blessé de champion de quartier n’arrive pas à envisager la défaite, continuez à faire vivre le hobby en amassant du plomb mais par pitié arrêtez de vous répandre en imprécations et complaintes sur le jeu que vous avez choisi de polluer et allez donc jouer sur l’autoroute.

La prochaine fois, enfin débarrassé des geignards qui trainaient encore par accident sur ce blog, je vous parlerai sans doute du renouvellement des générations de joueurs par tranche de 3, 7 et 10 ans.

Et vous, vous avez des crampes dans votre meta local ?

4 commentaires:

  1. Bon rappel. Il conviendrait quand même de résumer la chose par l'idée maîtresse suivante : le but d'une partie de jeu de rôle n'est pas de gagner, du moins pas tant qu'aucune règle ne sera établie pour déterminer qui est le gagnant. Mais une telle règle n'est écrite dans aucun jeu de rôle.

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  2. J'ajouterai qu'il existe plusieurs types de joueur de JDR. Si en effet, l'aspect "optimisation" de son personnage peu être intéressant, il n'est pas l’apanage du seul "gros bill". A noter que le Gros Bill, de base, va optimiser à la fois ça fiche de perso, mais aussi, son rôle "dans l'équipe de PJ" pour maximisé ces chances de briller.
    Autre élément, à Vampire ; bon nombre de pouvoir son "ultra fumé" et c'est un jeu où on peut faire du Gros Billisme assumé et décomplexé (j'entend murmuré... Loup Garou l'Apocalypse, qui je crois en terme de bourrinage / violence et carrément un cran encore au dessus).

    Concernant les jeux de figurines, en tant qu'auteur (encore amateur, puisque non publier) de jeu de figurine (Cf Starship Battlesystem) et pour avoir jouer à pas mal de jeu de figurines, je découvre 2 tendances au jeu de figurines.

    Les jeux "bien fichus" et tester, qui propose des parties équilibré et donc, où, théoriquement, chacune des parties devraient avoir, en début de partie, à budget égale, une chance a peut près identique de vaincre l'adversaire, si l'expérience de jeu est "identique".

    Ces jeux on souvent la caractéristique d'avoir été testé dans tout les sens.

    D'autre jeu, sortie "au fil de l'eau" propose des éléments de jeu (nouvelle figurines) avec toujours plus de puissance où proposant de nouvelle chose, qui à chaque sortie déséquilibre la mécanique interne du jeu (quand elle ne rend pas obsolète, certaines figurines un peux anciennes). Je pense à des jeux comme X-Wing, qui me parait symptomatique de cet course à l'armement pour des raisons, non pas ludique, mais purement financière. Mais bien entendu, Warhammer, Battlefleet Gothic, Firestorm Armada etc, sont dans ce cas.

    En tant que joueur de jeu de figurine, j'aime beaucoup les jeux qui proposent aux joueurs de "créer" leur propre "figurine" via un système de création. Cet aspect libre, permet d'explorer plusieurs options (voir de recycler des figurines obsolète dans un jeu pour leur donner une seconde vie).

    C'est ce que je me suis posé en tant qu'auteur, proposer un système qui permet de créer ce que l'on désir (dans mon jeu, il est question de vaisseau spatiaux). Ainsi, l'équilibrage est possible en terme de budget, la liberté l'est toute autant et on peut jouer décomplexer contre un adversaire, qui avec un budget égale au votre, aura, lui aussi, toute les chances de vous mettre sur le nez.

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  3. @L'Ours : rappel salutaire en effet. Merci.
    @Christophe, merci pour le commentaire et bienvenu chez nous. N'hésite pas à faire parler de ton jeu et à lire les articles sur Song of Blades and Heroes si tu aimes les systèmes à profils personnalisés.

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    1. J'ai découvert SBoH il y a quelques années, en effet, je pense qu'en terme de jeu d'escarmouche Med Fan, c'est vraiment du très bon jeu, rapide, furieux, simple et surtout très clair.
      Sinon, je te conseil le système de jeu "OPEX" du défunt Vincent Glaza :

      http://www.wargamevault.com/product/103767/OPEX--Rgles-pour-engagements-tactiques-modernes

      Dans le genre, j'aime aussi beaucoup ce système de jeu, simple et efficace.

      Concernant Starship Battlesystem, actuellement je travail à une version 8 qui devrait être "pro" c'est à dire éditer. Elle reprend les grands principe de la version amateur que l'on trouve sur mon blog, mais, propose une expérience de jeu totalement différente.

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