mardi 28 avril 2015

De la polémique autour de l'affiche du FIJ de Cannes

Si vous avez manqué le début...

Les personnes qui organisent le Festival International du Jeu de Cannes (le FIJ pour les connaisseurs) ont dévoilé au public l'affiche de la prochaine édition de l'événement qui aura lieu en 2016. Quoi de plus banal, on y a droit tous les ans et ce festival est le plus renommé de France, tentant de faire jeu quasi égal avec Essen.

S'en est suivi un bad buzz important sur les rézosocios qui a désenflé durant le week-end suite à la publication d'une affiche légèrement remaniée.

N'ayant rien de mieux à dire sur ce blog en ce moment, je cède un peu à la facilité en donnant un avis à chaud sur cette histoire. Je vais certainement m'en mordre les doigts mais, bon, on ne fait pas d'omelettes sans casser d’œufs.

Une discontinuité dans les choix graphiques

Les affiches des éditions précédentes sont plutôt composées à la façon d'une couv' du magazine Tangente. Je ne suis pas fan du parti pris graphique mais l'identité de l'événement est lisible.

Edition 2012

Edition 2013

Edition 2014

Edition 2015

Tada !!!! Edition 2016

Pourquoi cette affiche fait polémique ?

Le code de couleurs, le trait et la symbolique forment un tout qu'il est possible d'interpréter d'une certaine façon quand notre grille de lecture est influencée par des choses comme le combat contre la discrimination des LGBT et contre les stéréotypes de genre. Pour faire court, des enfants, fille et garçon, du rose pour la fille, du bleu pour le garçon et des pièces de puzzle qui s'emboîtent.

Même sans avoir l'esprit particulièrement mal tourné, il y a quelque chose qui se dégage de cette affiche et que les affiches des éditions précédentes ne dégagent pas. Une impression de déjà-vu.

Mais oui, ce sont les codes couleurs de La Manif' pour Tous !! (LMPT)

Personnellement, je m'en fiche bien, tout le monde a le droit de s'exprimer même (et surtout) si on n'est pas d'accord. Mais, quand on organise un événement public, médiatisé et surtout, qui doit rester politiquement neutre (eh oui, le jeu c'est apolitique et, a priori, pas soumis aux diktats de genre, on y reviendra) on doit maîtriser sa communication. C'est comme ça. Nous vivons dans un monde de communication où l'information est relayée instantanément. Nous vivons dans un monde de l'immédiat où le temps long de l'analyse n'a plus cours. On se doit de réagir à chaud sur n'importe quel sujet, de donner son opinion, souvent péremptoire. Je déplore cette situation mais il est nécessaire d'en tenir compte.

Si on ne veut pas ou on ne peut pas, on ne communique plus, ou alors on colle des chatons, des jolies filles ou des beaux mecs. Mais même ça, c'est communiquer des signes, des symboles et du sens.

(oui, fan service pour tous aujourd'hui, on se fout du genre chez Sandchaser)

Ignorance ou choix délibéré ?

Concevoir une affiche n'est pas une chose simple. J'en avais réalisée une avec mes faibles moyens graphiques et ma fibre artistique de bulot. Et puis on a beaucoup parlé de celle d'Orléans Joue avant de la rendre publique.

Quand on fait une affiche on cherche à faire passer un message et l'illustrateur a toujours son propre style et son propre rapport aux symboles et au sens de ceux-ci, le sujet de cette intéressante disciple qu'est la sémiotique.

Il est possible que l'illustrateur du FIJ 2016 n'ait jamais entendu parler de la Manif' Pour Tous, des stéréotypes de genre.

Il est aussi possible qu'il ou elle soit un(e) gentil(le) naï(f|ve) qui illustrait des livres pour enfants dans les années 60.

Il est aussi possible que l'illustrateur ait fait passer son message politique par cette affiche.

Il est encore possible que le comité organisateur du FIJ 2016 ait été noyauté par des activistes de LMPT.

Soyons sérieux cinq minutes. Les réactions contre cette affiche viennent de personnes qui ont une grille de lecture sémiotique particulière. La plupart des gens n'y verront rien d'autre qu'une affiche pour un événement lambda plutôt sympa, pour le jeu et les enfants.

Parce que pour l'essentiel de la population, le jeu c'est futile, le jeu, c'est pour les enfants, les petites filles aiment le rose, les petits garçons, le bleu et les petits garçons sont destinés à devenir des grands garçons qui vont mettre leur zizi dans les petites filles devenues grandes.

Et je suis convaincu que l'illustrateur a cette grille de lecture.

Bof.

Moi je ne vois pas ça.

Je vois un assemblage sordidement banal de clichés de genre promus par la culture mainstream qui, en plus, tombent à côté de la plaque.

Parce que le jeu de société n'est pas, en règle générale, orienté vers un genre ou vers l'autre à la différence de beaucoup de jouets pour enfants (j'avais prévenu qu'on y reviendrait)

Five Tribes, Time's Up ou Zombicide ne sont pas graphiquement conçus ou markétés pour être plus attrayants pour un genre ou pour l'autre en fonction de prescriptions normatives. En revanche, regardez un catalogue d'une grande enseigne de jouets et vous y verrez qu'on vous prend pour des cons (et vos gamins aussi). Le problème n'est pas de savoir ce qu'un garçon pourrait faire d'un déguisement de princesse, le problème est de savoir pourquoi les déguisements de princesse existent en premier lieu.

Voilà où est mon problème avec cette affiche. Vous me direz que je chicane et que c'est moi qui ait un problème. Non, je n'ai pas de problème. Le problème c'est qu'on enferme les enfants et les adultes aussi dans des stéréotypes de genre et qu'ils en souffrent.

Rétropédalage ?

Après le tollé (mot français pour bad buzz) que l'affiche a engendré, l'organisation du FIJ en a proposé une seconde.

On change le code couleur (et évitant le rose, c'est encore la symbolique féminine qui en prend un coup là, c'est con, j'aime beaucoup le rose moi)

On rajoute des meeples (bah oui le meeple ça fait genre jeu coco)

On change un coeur en trèfle, certainement pour une sombre histoire de symbolique.

La partie saillante de la pièce de puzzle est tenue par le personnage féminin (encore une histoire de symbolique)

et voilà !!!

Bref, on patche en vitesse pour limiter la casse et faire taire le buzz.

Mais on garde les enfants. Qui n'ont encore rien demandé et qui se retrouvent encore pris en otage de querelles d'adultes.

Pour finir

Voici l'affiche du festival organisé par les Tables d'Olonne, une sympathique association de jeu vendéenne (personne n'est parfait) qui a fait appel à une illustratrice qui sait ce que les symboles signifient.

Comme quoi vaut toujours mieux avoir l'air marin qu'avoir l'air con.

Merci à Axelle Bouet de m'avoir autorisé à publier cette affiche en son nom. C'est elle l'illustratrice. Allez faire un tour chez elle, c'est magnifique.