mardi 28 avril 2015

De la polémique autour de l'affiche du FIJ de Cannes

Si vous avez manqué le début...

Les personnes qui organisent le Festival International du Jeu de Cannes (le FIJ pour les connaisseurs) ont dévoilé au public l'affiche de la prochaine édition de l'événement qui aura lieu en 2016. Quoi de plus banal, on y a droit tous les ans et ce festival est le plus renommé de France, tentant de faire jeu quasi égal avec Essen.

S'en est suivi un bad buzz important sur les rézosocios qui a désenflé durant le week-end suite à la publication d'une affiche légèrement remaniée.

N'ayant rien de mieux à dire sur ce blog en ce moment, je cède un peu à la facilité en donnant un avis à chaud sur cette histoire. Je vais certainement m'en mordre les doigts mais, bon, on ne fait pas d'omelettes sans casser d’œufs.

Une discontinuité dans les choix graphiques

Les affiches des éditions précédentes sont plutôt composées à la façon d'une couv' du magazine Tangente. Je ne suis pas fan du parti pris graphique mais l'identité de l'événement est lisible.

Edition 2012

Edition 2013

Edition 2014

Edition 2015

Tada !!!! Edition 2016

Pourquoi cette affiche fait polémique ?

Le code de couleurs, le trait et la symbolique forment un tout qu'il est possible d'interpréter d'une certaine façon quand notre grille de lecture est influencée par des choses comme le combat contre la discrimination des LGBT et contre les stéréotypes de genre. Pour faire court, des enfants, fille et garçon, du rose pour la fille, du bleu pour le garçon et des pièces de puzzle qui s'emboîtent.

Même sans avoir l'esprit particulièrement mal tourné, il y a quelque chose qui se dégage de cette affiche et que les affiches des éditions précédentes ne dégagent pas. Une impression de déjà-vu.

Mais oui, ce sont les codes couleurs de La Manif' pour Tous !! (LMPT)

Personnellement, je m'en fiche bien, tout le monde a le droit de s'exprimer même (et surtout) si on n'est pas d'accord. Mais, quand on organise un événement public, médiatisé et surtout, qui doit rester politiquement neutre (eh oui, le jeu c'est apolitique et, a priori, pas soumis aux diktats de genre, on y reviendra) on doit maîtriser sa communication. C'est comme ça. Nous vivons dans un monde de communication où l'information est relayée instantanément. Nous vivons dans un monde de l'immédiat où le temps long de l'analyse n'a plus cours. On se doit de réagir à chaud sur n'importe quel sujet, de donner son opinion, souvent péremptoire. Je déplore cette situation mais il est nécessaire d'en tenir compte.

Si on ne veut pas ou on ne peut pas, on ne communique plus, ou alors on colle des chatons, des jolies filles ou des beaux mecs. Mais même ça, c'est communiquer des signes, des symboles et du sens.

(oui, fan service pour tous aujourd'hui, on se fout du genre chez Sandchaser)

Ignorance ou choix délibéré ?

Concevoir une affiche n'est pas une chose simple. J'en avais réalisée une avec mes faibles moyens graphiques et ma fibre artistique de bulot. Et puis on a beaucoup parlé de celle d'Orléans Joue avant de la rendre publique.

Quand on fait une affiche on cherche à faire passer un message et l'illustrateur a toujours son propre style et son propre rapport aux symboles et au sens de ceux-ci, le sujet de cette intéressante disciple qu'est la sémiotique.

Il est possible que l'illustrateur du FIJ 2016 n'ait jamais entendu parler de la Manif' Pour Tous, des stéréotypes de genre.

Il est aussi possible qu'il ou elle soit un(e) gentil(le) naï(f|ve) qui illustrait des livres pour enfants dans les années 60.

Il est aussi possible que l'illustrateur ait fait passer son message politique par cette affiche.

Il est encore possible que le comité organisateur du FIJ 2016 ait été noyauté par des activistes de LMPT.

Soyons sérieux cinq minutes. Les réactions contre cette affiche viennent de personnes qui ont une grille de lecture sémiotique particulière. La plupart des gens n'y verront rien d'autre qu'une affiche pour un événement lambda plutôt sympa, pour le jeu et les enfants.

Parce que pour l'essentiel de la population, le jeu c'est futile, le jeu, c'est pour les enfants, les petites filles aiment le rose, les petits garçons, le bleu et les petits garçons sont destinés à devenir des grands garçons qui vont mettre leur zizi dans les petites filles devenues grandes.

Et je suis convaincu que l'illustrateur a cette grille de lecture.

Bof.

Moi je ne vois pas ça.

Je vois un assemblage sordidement banal de clichés de genre promus par la culture mainstream qui, en plus, tombent à côté de la plaque.

Parce que le jeu de société n'est pas, en règle générale, orienté vers un genre ou vers l'autre à la différence de beaucoup de jouets pour enfants (j'avais prévenu qu'on y reviendrait)

Five Tribes, Time's Up ou Zombicide ne sont pas graphiquement conçus ou markétés pour être plus attrayants pour un genre ou pour l'autre en fonction de prescriptions normatives. En revanche, regardez un catalogue d'une grande enseigne de jouets et vous y verrez qu'on vous prend pour des cons (et vos gamins aussi). Le problème n'est pas de savoir ce qu'un garçon pourrait faire d'un déguisement de princesse, le problème est de savoir pourquoi les déguisements de princesse existent en premier lieu.

Voilà où est mon problème avec cette affiche. Vous me direz que je chicane et que c'est moi qui ait un problème. Non, je n'ai pas de problème. Le problème c'est qu'on enferme les enfants et les adultes aussi dans des stéréotypes de genre et qu'ils en souffrent.

Rétropédalage ?

Après le tollé (mot français pour bad buzz) que l'affiche a engendré, l'organisation du FIJ en a proposé une seconde.

On change le code couleur (et évitant le rose, c'est encore la symbolique féminine qui en prend un coup là, c'est con, j'aime beaucoup le rose moi)

On rajoute des meeples (bah oui le meeple ça fait genre jeu coco)

On change un coeur en trèfle, certainement pour une sombre histoire de symbolique.

La partie saillante de la pièce de puzzle est tenue par le personnage féminin (encore une histoire de symbolique)

et voilà !!!

Bref, on patche en vitesse pour limiter la casse et faire taire le buzz.

Mais on garde les enfants. Qui n'ont encore rien demandé et qui se retrouvent encore pris en otage de querelles d'adultes.

Pour finir

Voici l'affiche du festival organisé par les Tables d'Olonne, une sympathique association de jeu vendéenne (personne n'est parfait) qui a fait appel à une illustratrice qui sait ce que les symboles signifient.

Comme quoi vaut toujours mieux avoir l'air marin qu'avoir l'air con.

Merci à Axelle Bouet de m'avoir autorisé à publier cette affiche en son nom. C'est elle l'illustratrice. Allez faire un tour chez elle, c'est magnifique.

jeudi 5 février 2015

Nouvelle année, nouvelle résolution.

Cela faisait un moment que nous avions délaissé ce blog. La vraie vie est une chienne et clairement, la fin 2014 a été l'ultimate bitch of doom.

Mais 2015 est déjà là et il est temps de faire des bilans, et de prendre de bonnes résolutions. Ma première bonne résolution sera d’écrire plus souvent sur le blog. Oui, je m’engage ici à écrire un article par mois. Rien d’excessif et je ne garantis pas des fleuves sans fin à chaque fois. Mais l’exercice est cathartique et donc intéressant. Et puis le rédac’ chef sera content, vu ce que je lui coûte en message d’insultes et de menaces.

Il y a quelques mois, j’exprimais mon ressenti(-ment) envers Kickstarter. Pour moi, une belle idée se transformait en gloubiboulga indigeste et finalement médiocre, que cet OVNI rédactionnel expose parfaitement.

Mais voilà, cela fait maintenant plusieurs années que Kickstarter a permis de voir fleurir des projets divers, et l’on peut commencer à avoir le recul suffisant sur cette pratique pour en analyser les conséquences. Ou le manque de conséquences ?

Car l’affirmation est souvent proclamée : “grace à KS, des jeux qui n’auraient jamais vu le jour peuvent exister”. Tout cela est généralement vrai et KS n’est pas l’ogre que certains pouvaient craindre. Il permet effectivement de créer des jeux encore jamais vu, à des éditeurs de publier leur premier produit avec un risque réduit et parfois de faire des rencontres ludiques originales.

Je ne suis pas ici pour faire l’article de Kickstarter et de ses multiples avatars. L’autre question souvent posée est : “N’est-ce pas un danger pour les boutiques ?” La question reste valable, les données étant conflictuelles, mais elle mérite d’être plus largement posée. Qu’est-ce que Kickstarter apporte réellement au marché du jeu ? Qu’est-ce que Kickstarter apporte à la communauté des joueurs ?

  1. Qui peut le plus peut le mieux ?

Il est incontestable que Kickstarter fait pulluler les projets ludiques. Je ne parle même pas des jeux vidéos. Ne s’en tenir qu’aux jeux de plateaux c’est déjà avoir la section de Kickstarter la plus remplie et la plus active de tout le site. Des jeux de cartes, de dés, des jeux de plateaux, de figurines, de rôle… Tout y est. Du familial, du hardcore, du kubenbois, de l’Améritrash. Et il faut bien le dire majoritairement de la merde (secouez une boîte de jeu façon Jean Pierre Coffe en lisant cela).

Parce que oui, vous trouverez de tout sur Kickstarter, mais rien ne garantit la qualité d’un projet. Entre la resucée nostalgique d’un jeu mort, les pompes éhontées mais-vraiment-plus-intense-que-l-original, les volumes 12 d’un jeu à succès (et on se demande encore pourquoi vu les bugs de conception) qui ne devrait même plus passer par KS, le jeu stratégico-ennuyeux qui croit être un jeu de plateau hardcore mais qui est un mauvais D&D4 softcore, le jeu apéro qui n’est rien d’autre que l’adaptation pseudogeek de la roulette russe, du crapouillot ou du 8 américain avec des chats moches et/ou des gros seins, vous aurez l’embarras du choix et surtout le choix de l’embarras.

Car oui, vous allez promouvoir des artistes balbutiants, vous allez soutenir des entreprises audacieusement débutantes, vous allez parier votre 13ème mois sur un projet plus ou moins vague et audacieusement marketé. Mais ce produit en vaut-il la peine ? Pire, ce produit mérite-t-il juste d’exister ?



Personne ne se réjouit de la multiplication des lapins et des rats. Diantre, il existe même des moyens de lutte contre ces proliférations de nuisible. Mais bizarrement, le geek est ravi de claquer l’argent des études de ses enfants dans des produits à l’intérêt vague ou aléatoire, couvrant leur “entassite” aiguë sous les excuses de soutien de l’économie, de concept “délirant” ou, comme Rafpark, sans même avoir une excuse…

Attention, je ne dis pas que l’on n’a plus rien inventé depuis le Monopoly ou Carcassonne ou Warmachine. Je dis juste que nouveau jeu ne veut pas dire jeu intéressant.
Et non seulement, la plate-forme surannée de Kickstarter ne permet pas de s’en prémunir, mais elle renforce même l’effet “wahoo!” au détriment de l’information fondamentale.

La qualité discutable de la plupart des jeux offerts dernièrement va de la figurine molle, la carte trop fine, la plateau avec un problème de colorimétrie au produit manquant parce qu’on a oublié de demander une licence à son titulaire. Je passerai de façon courtoise sur les délais fantaisistes de TOUS les Kickstarters, parce que le pauvre Geek qui claque l’argent de Mère-Grand est tout angoissé si l’on lui dit la triste vérité, dure et moche : “Nous ne savons pas, parce que nous sommes des charlots”.

Ce problème de qualité est connexe à un autre : celui de la durabilité des jeux offerts. Et de leur durée de vie sur un marché déjà saturé.


II. Exister c’est bien, en dur c’est mieux.

Votre jeu est financé. Vous le produisez et le livrez à tous vos backers, en temps et en heure (lol). Bien. Et la suite ? La suite c’est simplement de voir votre jeu favori sur les étagères de votre boutique préférée.

Là encore, Kickstarter ne vous aidera que d’une seule façon : si vous avez suffisamment de succès, vous aurez un argument pour convaincre un distributeur plus ou moins fainéant et parvenu de vous prendre dans son catalogue indigeste et sans cohérence.

Mais là, on parle de jeux qui ont fait plusieurs centaines de milliers de dollars, allez, arrêtons la blague, plus d’un demi million. En dessous, votre jeu voit ses chances d’être pris d’office réduites à néant. Et le petit éditeur qui a encore sous-évalué ses prix pour paraître plus attractif aux vautours insatisfaits qui trollent les projets Kickstarter parce qu’ils veulent entasser à vil prix se retrouve une nouvelle fois dépourvu de ressources pour se permettre une campagne de conquête de marchés. Et dans un contexte hyper-compétitif, aller chercher tous les principaux distributeurs qui ne sont pas venus à vous, cela part déjà très mal.

Et ensuite, qu’est-ce qui va assurer la longévité de votre jeu sur les étagères poussiéreuses de votre LGS préféré ?


III. Extension du domaine de la lutte.

Vous avez votre nouveau presse-livre déguisé en jeu de plateau révolutionnaire. Maintenant qu’en faire ? Vous voulez y jouer ? Vraiment ? Cool. J’espère que votre groupe habituel aussi. Parce que grâce à votre Kickstarter favori, vous avez permis à un tiers de constituer un fichier client avec vos informations personnelles et il vous remercie. Vous avez aussi permis à votre groupe de joueurs (si vous en avez un, vous seriez surpris de voir le nombre de joueurs solitaires) de tromper l’ennui de vos précédentes acquisitions en essayant un nouveau jeu “révolutionnaire complexe mais pas compliqué au gameplay hasardeux, aux règles confuses et rédigées sans talent et au matériel pléthorique et mal rangé dans la boite.

Mais à quel moment avez-vous créé de nouveaux joueurs ? A quel moment ce nouveau produit s’est-il préoccupé de constituer une base de joueurs nouvelle ? Comment pensez-vous que ce nouveau jeu va trouver un nouveau public maintenant que vous l’avez financé grassement ? Certes, les grosses machines s’en sortiront toujours. après tout, KS n’est qu’une prévente pour eux. Mais les petits éditeurs ? Ceux qui ont ce produit nouveau qui est désespérément en recherche de communauté pour s’épanouir et survivre dans ce marché noyé par les monceaux de nouveaux produits ?

Je ne vous jette pas la pierre, vous, joueurs, vouliez votre jeu avec un rabais (parce que KS ne fonctionne que grâce à cet artifice commercial) et avant tout le monde (là, c’est souvent raté). Mais vous, l’éditeur, qui justement, ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez avez oublié que le financement de votre jeu c’est aussi le financement de la construction de sa communauté de joueurs. Parce que faire un jeu de merde c’est bien, mais si vous n’avez pas des joueurs de merde pour y jouer, vous êtes aussi inutiles que vous êtes infatués à propos de votre pépite financée par la foule ankylosée qui vous a permis de réunir les trois cacahuètes que vous appelez un succès.

De fait, quand je regarde un Kickstarter, je suis moins impressionné par un montant affolant de monnaie avec 6 zéros que par un nombre de backers à 4+ chiffres. Cela ne crée pas de joueurs, mais au moins vous avez un vrai indicateur de ce que votre jeu peut faire une fois jeté dans les rues sombres et moites des clubs de jeu.


La prochaine fois, je vous parlerai d'un autre truc qui me donne des gaz. Et vous, où pledgez-vous ?


samedi 31 janvier 2015

Sur les traces du Steampunk

Encore baroque et décalé ou alors complètement mainstream, notre opinion sur le Steampunk.
(NDLA) Cet article a été composé pour être l'éditorial du Blogurizine hors-série consacré aux jeux steampunk. Etant donné que la parution de ce numéro est compromise, je vous le livre ici, légèrement remanié.

Un fond d’histoire contemporaine, une once d’occulte, une pincée d’onirisme et un copieux assaisonnement de technologie baroque, voilà la recette du steampunk, un genre né dans les années 70 et qui a d’abord été littéraire avant d’essaimer vers d’autres supports, notamment celui qui nous intéresse ici, le jeu de figurines. Ce genre littéraire reste cependant assez flou. Il ne porte guère de message et les récits qui s’en réclament ne brillent pas par leur originalité.

Aux sources du genre

Le terme « steampunk » est un renvoi ironique à un autre genre, fort populaire dans les années 80 et 90. Je veux parler ici du cyberpunk, mélange d’idéologie libertaire, de changement civilisationnel et de technologie futuriste. Le cyberpunk se caractérisait par l’émergence des biotechnologies, des nanotechnologies, des humains et des objets tous connectés, de la montée de l’individualisme face au déclin des structures sociales, des groupes paramilitaires et des transnationales aussi puissants sinon plus que les armées nationales et les Etats. Ceci ne vous rappelle rien ? C’est notre monde contemporain. Dépeindre notre monde actuel du XXIème siècle est l’une des raisons pour lesquelles le genre est tombé en désuétude car il ne propose rien de nouveau sinon la nostalgie et une force prédictive dont Jules Verne aurait pu rêver.

Au contraire, le steampunk est par essence une réelle littérature de l’imaginaire, ou plutôt le recyclage loufoque d’un passé récent et fantasmé. En effet, son principe de base est l’uchronie technologique plutôt qu’historique. Que se passerait-il si notre technologie moderne avait été développée à l’époque victorienne (ou à la Belle Epoque, soyons chauvins !) avec les matériaux et les moyens de l’époque : machines à vapeur tarabiscotées, cuir et cuivre en lieu et place de plastiques et d’aluminium ? Si le cyberpunk portait un message politique, le steampunk n’a pas cette prétention et se pose comme une imitation ou plutôt une réminiscence du genre littéraire de l’anticipation, fort populaire au XIXème siècle avec des auteurs comme H.G. Wells et, dans une moindre mesure, J. Verne. Ceci est d’ailleurs le principal reproche qu’on peut faire aux auteurs qui promeuvent ce genre : celui de faire de la fantasy à vapeur et en crinolines.

Tant qu’à ressucer le XIXème siècle, pourquoi ne mettre en scène qu’une bourgeoisie pimpante et oisive ? Pourquoi ne pas décrire les conditions de vie de l’époque, la colonisation ou le fonctionnement oligarchique des institutions ? Cela aurait certainement plus d’écho de nos jours et permettrait une pertinente mise en abyme de certaines situations actuelles à la manière d’un Jonathan Swift et de ses Voyages de Gulliver (1726). Autre différence, et de taille : quand le cyberpunk débordait la hard science sur son flanc scientifique dans ses tentatives d’expliquer les principes de la technologie qu’il met en scène, le steampunk n’a pas cette prétention, gardant aux applications technologiques baroques le parfum du rêve et du mystère dans la plus pure tradition romantique.

Les œuvres fondatrices, forcément littéraires, empruntent à Wells (Morlock Nights de K.W. Jeter en 1979) ou sont des pastiches de cyberpunk par les papes du genre (The Difference Engine de W. Gibson et B. Sterling en 1990). Cependant, l’esthétique steampunk n’est pas neuve puisque les arts graphiques, le cinéma et la télévision l’ont plus ou moins déjà codifiée avec, par exemple, des séries comme The Wild Wild West (1965) ou des films comme Chitty Chitty Bang Bang (1968). Mais c’est à cette époque que la rupture avec le pulp (G. Le Rouge) et l’anticipation (Verne et Wells) est patente. Les deux œuvres visuelles que nous venons de citer sont d’ailleurs des œuvres comiques et décalées, pour tout dire étranges et novatrices.

Une esthétique de l’étrange

Plus encore que la fantasy qui tire sa puissance d’évocation d’un Moyen-Age fantasmé dans lequel les peurs de cette époque historique (dragons et sorciers ) prennent corps, le steampunk réussit le tour de force de rendre étrange des objets, des lieux et une époque entière qui pourraient nous sembler familiers mais qui prennent un tour nouveau lorsqu’un auteur ou un producteur artistique nous les montre sous un angle décalé.

Les moins de vingt ans ne pourront se rappeler de cette mini-série française de l’époque où la frilosité des chaînes n’empêchait pas encore la création. Le Mystérieux Docteur Cornelius (1984) réussissait, en six épisodes de 52 minutes, à adapter le roman éponyme de Gustave Le Rouge et à rendre pêle-mêle aventures invraisemblables, inventions loufoques et anti-héros amoraux évoluant dans un décor de machines improbables et d’expériences scientifiques malsaines.

Plus près de nous et de nos lecteurs les plus jeunes, La Boussole d’Or (À la croisée des mondes : La Boussole d'or, 2007), film fort mal adapté de l’œuvre de Philip Pullman, réussissait le tour de force de nous endormir avec une narration poussive et, dans le même temps, à nous tenir éveillés grâce aux décors et aux machines qui composaient l’arrière-plan de la mise en scène. Même s’il ne s’agit que de CGI, on peut apprécier l’effort du production designer qui était derrière tout ça.

Encore plus près de nous, la mise en scène de Sucker Punch (2011) offre à cette série B narrant la quête initiatique d’une adolescente, un cadre que ce film n’aurait pas eu si le choix artistique eût été différent. Sucker Punch réussit l’exploit de condenser tout l’imaginaire né de l’appropriation de la culture steampunk par tout un mouvement artistique et de devenir lui-même une référence pour ce mouvement par son parti-pris graphique. Machines étranges et omniprésentes, personnages inquiétants et ambivalents, onirisme exacerbé, uchronie faisant fi de toute cohérence historique, tous les ingrédients du steampunk sont présents dans cette fiction.

Cette rétro-technologie, caractéristique du genre a fini par le définir tout entier et, finalement, à le phagocyter en ne mettant en valeur que son côté matérialiste et visuel, ce qui nous amène à discuter de l’expression steampunk dans d’autres média que le roman.

Une culture de l’imaginaire

Malgré les incursions du cinéma et de la télévision dans l’univers steampunk, le médium de référence reste la littérature, roman ou roman graphique. En France, il s’agit d’un mouvement culturel initié dans les années 90 par certains auteurs de jeux de rôles qui avaient développé leurs univers sur ce support avant de passer à l’échelon littéraire avec la publication des premiers romans steampunk en français, je veux parler de Fabrice Colin et de Matthieu Gaborit, auteurs respectifs de plusieurs contributions pour Casus Belli, d’Ecryme (1994), le premier jeu de rôles francophone steampunk et co-auteurs du roman qui a en quelque sorte fondé le genre en France : Confessions d’un automate mangeur d’opium (1999). Ces deux prolifiques auteurs n’en sont pas restés là puisque le premier est devenu par le suite le co-scénariste de la Brigade Chimérique (qu’on peut rattacher in fine au même genre) et le second est devenu lui-aussi un auteur à succès dans le registre un peu plus classique de la fantasy. Le steampunk fait toujours recette puisque le dernier avatar de cette lignée de romans en langue française est l’œuvre d’un mien ami, Nicolas Le Breton (Les Ames Envolées, 2014).

Ce qui nous rapproche du jeu de figurines est que le même Mathieu Gaborit, en vrai touche-à-tout, a collaboré à Confrontation, le jeu d’escarmouche que vous, lecteurs, dans votre grande majorité, vous remémorez avec une larme à l’œil ou le couteau entre les dents. Développant les idées des concepteurs initiaux du jeu et de son background, il a réussi à allier les deux sources, le steampunk et la fantasy au sein d’une évolution de l’univers d’Aarklash qui a culminé avec la parution du roman La faille de Kaïber (2007), signant par là, l’irruption du steampunk dans l’imaginaire du joueur figuriniste francophone. Mais cette émergence s’est faite également dans le manga (Full Metal Alchemist) et dans le jeu vidéo (Bioshock).

Un genre appelé à croître

En quelques années, le steampunk a colonisé l’imaginaire occidental et s’est affirmé comme tendance culturelle non négligeable fédérant même une sous-culture propre. Hors de la littérature, de la bande-dessinée, du cinéma et des jeux de figurines (et nous allons y revenir), le style steampunk a fait naître tout un mouvement culturel de créateurs de mode et de reenactors, terme anglais difficilement traduisible qui regroupe pêle-mêle amateurs de JDRGN et fans de reconstitution historique. Au-delà d’un simple fandom, ces groupes ont engendré un marché de vêtements, d’accessoires, de bijoux et de reproductions d’armes qui est en pleine croissance. La différence entre steampunk et fantasy sur ces aspects est que le steampunk semble bénéficier d’une meilleure acceptation sociale que sa comparse. En effet, les brumes du XIXème ne se sont pas dissipées de manière égale et, souvent, on ne retient de cette période que l’élégance des toilettes. La réalité était tout autre et il faut relire Stefan Zweig (Le Monde d’Hier, 1944) pour en trouver une critique acerbe et réaliste.


Celle-ci c'est pour Arsenus

S’il faut en croire une récente étude d’IBM (Analytics points to the “Birth of a Trend,” steampunk aesthetic to pervade pop culture in 2013), l’intérêt pour la culture et le style steampunk vont connaître dans les années 2014-2015 un phénomène de croissance. Les analystes à l’origine de cette étude se sont basés sur les données échangées sur les réseaux sociaux exploitées grâce à des algorithmes de « textmining » pour construire un indicateur de tendance sociale qui montre une croissance en flèche de l’adhésion au style steampunk d’une part et une émergence d’un marché mature dans lequel des acteurs industriels commencent à poindre.

Il faut cependant se méfier de ce type d’étude qui ne dégage qu’une tendance et qui est loin de concerner l’ensemble de la population. D’autant plus que les phénomènes émergents sont difficiles à détecter avant qu’ils ne commencent. Mais peut-être que la révolution steampunk est en marche. Qui sait ?

Et les figurines alors ?

Nous n’allons pas dans ce billet d’opinion faire un inventaire à la Prévert de tous les jeux de figurines influencés par le steampunk. Mais il semble bien que la tendance évoquée plus haut soit également à l’œuvre au sein de notre loisir de prédilection au détriment de genres en place depuis l’origine comme la SF ou la fantasy. Si le steampunk ne remplacera pas ces genres éprouvés, au moins, il ne les laissera pas inchangés. Nous pensons que le steampunk et lui seul à l’heure actuelle possède ce potentiel de ré-enchanter le monde, suffisamment étrange pour opérer et encore familier et explicable à l’aune de nos valeurs contemporaines alors que la fantasy ne reste que de la pure imagination incapable de franchir la barrière de la réalité objective et que la SF s’est totalement décrédibilisée par son adhésion à la techno-science.

dimanche 18 janvier 2015

Boutique à Paris, La Waaagh Taverne

De passage à Paris pour rencontrer Greg et sa compagne (et accessoirement organiser une conférence de rédaction plus ou moins improvisée), j'ai appris de la bouche même de mon co-auteur qu'il existait une boutique de figurines dans le VIème dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Greg m'a emmené visiter l'endroit aussitôt. La Waaagh Taverne c'est à la fois un espace de vente, un espace de jeu sur deux niveaux (oui, il y a un sous-sol) et un espace de restauration rapide. Le staff est très sympa et a la très bonne idée de proposer des jeux variés. Enfin, les gens qui étaient là jouaient surtout à Warmachine/Hordes ce qui peut expliquer l'attrait que lieu exerce sur Greg.

Comme on est chez des gens de bon goût, la vitrine contient des Armies on Parade avec pas mal de W40K et de Battle mais aussi du Warmachine. Hélas, trois fois hélas, n'étant muni que d'un pitoyable smartphone, je ne pus prendre de bonnes photos des figurines. Mais j'ai «shooté» l'intérieur.

J'y ai aussi acheté le supplément sur les armées de la France et des alliés pour Bolt Action. Si vous êtes de passage à Paris, n'hésitez pas à rendre visite à cette superbe boutique dont les tauliers n'ont pas oublié qu'une boutique était avant tout un lieu d'échange entre communauté de joueurs.

Waaagh Taverne
16 rue Stanislas,75006 Paris
M4 Vavin ou M12 Notre-Dame des Champs

mardi 13 janvier 2015

L'éditorial du taulier, 2015

Si 2014 a été pourrie, 2015 commence fort merdiquement. Nous avons tenu notre conférence de rédaction avec Greg samedi dernier, quatre jours à peine après une autre conférence qui s'est tragiquement terminée. Bref, à tout point de vue, Sandchaser est en deuil. Mais nous allons relever la tête et nous continuerons de faire ce que nous faisons le mieux : donner notre avis, toujours à l'emporte-pièce, toujours motivé et argumenté, sans épargner personne, assaisonné d'une touche d'humour douteux, de cynisme et de mauvais goût.

Il n'y aura donc pas de bilan 2014 car c'est fastidieux à faire, autant aller relire les posts qui ne sont pas très nombreux. Il n'y aura pas non plus de "bonnes résolutions" parce qu'on les prend, contraints et forcés, pour faire comme tout le monde. Justement, ici, à la rédaction, on ne fait rien comme tout le monde. Surtout pas.

On a du contenu pour quelques billets d'information et d'opinion qui paraîtront courant janvier et février. Pour la suite, on verra ce que nous prépare Greg sur Warmachine mais il a annoncé du lourd. Du tellement lourd qu'il a pris lui-même la décision de couper son article. C'est dire.

Pour ma part, je ne fais aucune promesse mais j'irais certainement couvrir LudiNord les 28 et 29 mars et je vous donne rendez-vous les 12 et 13 septembre pour Orléans Joue. La date des Journées Figurines & Jeux de Sartrouville est toujours inconnue. Dès que nous en savons plus sur ce sujet, nous vous informerons. La rédaction du Blogurizine semble toujours en sommeil malgré le contenu qui a déjà été rédigé. Perno et Belisarius sont tous deux fort occupés mais nous avons toujours dit que la parution serait et resterait irrégulière. Dans la même veine, Ravage le Mag' est ressorti. Je ne l'ai toujours pas vu en kiosques mais je zieute. Revue de presse pour très bientôt.

Si vous avez un peu de fraîche, allez faire un tour sur Kickstarter. Un seul mot : Conan. Ça promet. VF et frais de port UE-compatibles.

Voilà, cet éditorial arrive à sa fin. Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter, en mon nom et au nom de Greg, une très bonne année 2015.

samedi 1 novembre 2014

Liste Alkemy 180 points en un mois, POM réussie !

Le 6 Octobre, j'avais relevé le défi que me lança ce fourbe Arsenus. Objectif ? Peindre une liste Blitz en un mois. Comme j'avais déjà commencé à peindre mon starter Triade de Jade, je me laissais jusque fin Octobre pour réussir mon projet. C'est chose faite depuis hier soir, mon compte FB en témoigne.

C'est plutôt agréable à peindre même si la matière des figurines n'est pas toujours de très bonne qualité. Entendons-nous bien. Pour des figurines de jeu, c'est parfait, le plastique résine c'est solide et flexible à la fois mais qu'est-ce que c'est pénible à préparer ! Pour les nostalgiques et les curieux, j'ai déjà évoqué la préparation de ces figurines dans un vieux billet.

Le schéma de couleurs est un grand classique de la maison. Un vert chaud, du violet, des métalliques sur base bleue-grise, un peu de marron chaud, pas trop pour pas faire râler Greg, pas trop de détails, ce sont des figurines de jeu. Résultat : c'est du 28mm peint comme du 15mm. Ça va vite à peindre et je ne pense pas trop exagérer en vous disant qu'il y a presque plus de temps de séchage que de temps de pose des teintes. Grand progrès par rapport à d'habitude, j'ai posé quelques lumières pour éviter d'avoir des figurines trop plates comme les Elfes de ma bande pour SoBaH.

Et mes camarades, alors ? Eh bien, Whispe a terminé et, comme d'habitude, ça envoie du lourd.

Coyote est en bonne voie mais il a commencé plus tard et, lui aussi, il va envoyer du lourd quand ça sera fini.

Essen ayant eu lieu, on a perdu notre ami Tanguy qui a été victime d'une invasion de boîtes de jeu.

Chez Ceux-d'en-Face, Arsenus a terminé :

et Marvin également :

Loquak est en bonne voie :

mais Tobias semble marquer le pas :

Nul doute qu'ils y arriveront avant la date fatidique !

C'était la première POM à laquelle je participais et il faut reconnaître que le principe d'émulation mutuelle est plus motivant que l'APO d'autant qu'il y a un tournoi Alkemy Blitz prévu pour Décembre dans le coin mais ça, on aura l'occasion d'en reparler.

jeudi 16 octobre 2014

Escarmouches fantastiques avec SAGA, du nouveau

SAGA est un jeu de Studio Tomahawk que nous déjà eu le plaisir de mentionner ici. Pour celles et ceux qui n'avaient pas suivi (mais que font-ils ici ?), il s'agit d'un jeu d'escarmouches historiques dans la période du Haut Moyen-Âge dont la mécanique est superbe, des règles simples, cohérentes qui arrivent, même sans activation alternée, à procurer du rythme à la partie et à le conserver. Quand le jeu est sorti il y a maintenant quelques années, certains se sont plus à imaginer une adaptation à des univers moins historiques et plus fantastiques. Notamment, la rédaction de Ravage qui n'a, hélas, jamais rien publié sur ce sujet. Il a fallu que Perno s'empare du problème et que son travail et son imagination livrent à notre communauté deux suppléments de première importance.

Quand SAGA est sorti en 2011, ça faisait déjà quelques mois que Ludik Bazar proposait à la vente le reste du stock de figurines pur Confrontation 4, ces figurines en plastique, montées et peintes comme des action figures bas de gamme. Qu'à cela ne tenait, puisque Confrontation était un jeu mort, puisque des figurines en nombre suffisant et bon marché étaient disponibles et que, par dessus le marché, une règle adéquate était parue, pourquoi ne pas profiter de tout ça pour faire un jeu ? Ce fut chose faite en 2012 lorsque Perno publia sur son blog la première version de SAGA of Aarklash.

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce jeu dans ces colonnes lors d'un rapport de bataille puis d'un autre. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, Perno est devenu un auteur de jeu à succès et votre serviteur a sombré dans une neurasthénie ludique due à l'abus de Marsouins de l'Espâaaaaace que ne put guérir que la découverte de la profession de foi de la LIDJA.

Depuis je vais mieux (j'imagine mes rares lectrices et certains de mes lecteurs se pâmer d'aise à l'évocation de ce regain d'énergie) et j'ai même rejoué à SAGA of Aarklash, jeu entretemps rejoint par un "supplément" assez spécial fort bizarrement titré "SAGA Lames&Heros". Cet opus permet de concevoir des profils de troupes inédits et d'adapter des unités provenant d'autres jeux (qui a dit Warhammer Fantasy Battle ?) à SAGA en respectant au mieux le besoin d'équilibre entre les unités. Plus qu'un supplément prêt à jouer, SAGA Lames&Heroes est à prendre comme le jeu dont il est inspiré (Song of Blades and Heroes), c'est-à-dire comme une boîte à outils pour construire ses propres factions.

Depuis, l'idée a fait son chemin et voici deux factions, le Lion et le Scorpion, prêtes à en découdre :

J'ai légèrement modifié les caractéristiques de ces armées que Perno avait imaginées dans SAGA of Aarklash et nous avons commencé les tests à Orléans Wargames, profitant de ce regain d'intérêt pour nous intéresser de nouveau à SAGA et pour imaginer d'autres adaptations. Mais cela fera l'objet d'un prochain billet.