Récemment, j’ai eu l’occasion de jouer à trois jeux :
- Heroquest, le classique de Milton Bradley et Games Workshop des années 1990. La boite de base, simple et pleine de figurines délicieusement classiques et monoblocs. Pas de supplément mais pas de pièce manquante.
- Black Market Warehouse, de Fire Squadron. Un petit jeu apéritif édité par une maison jeune et enthousiaste (et honnêtement bordélique) créée par un pote, Tracy Constantine (le gars qui a notamment dessiné des petites bandes dessinées pour le No Quarter à l’époque).
- Angry Sheep de Iron Box Games. Un jeu de dés avec des petits moutons en plastique à l’esprit révolutionnaires.
Je vais parler de ces trois jeux parce qu’ils ont un point commun : je peux y jouer avec mes trois gamines de 14, 12 et 9 ans.
Cela fait quelques mois que je suis assidûment les groupes de discussions sur les jeux de plateaux et de société modernes et la plupart du temps, ce que je vois ce sont des parents qui jouent à leurs jeux et des enfants qui jouent aux leurs. Les produits passerelles sont légions, on le sait étant donné l’offre endémique des jeux de plateaux (plus d’un nouveau jeu par jour chaque année !!) mais beaucoup d’entre eux sont soit trop chers (Ticket to Ride est un excellent jeu de hasard mais dieu que la boite est chère pour un jeu qui existe depuis 20 ans…), soit trop bordéliques (Rampage) soit trop simples (King of Tokyo) pour avoir une grosse rejouabilité pour les seniors.
Rampage, le jeu de destruction avec un livre de règles (c) Absurd Nerd Blog. |
C’est avec d’autant plus de surprises que j’ai apprécié jouer à ces jeux récemment.
Angry Sheep est un jeu de dés classique, un avatar du Yahtzee ou du Yams : on jette des dés, on doit faire des paires pour voler des moutons sur le champs au milieu où à ses adversaires. La mécanique est perturbée/accélérée par la présence d’un mouton noir, oui, le fameux Black Sheep de la 214, dont les effets de jeu, de la suppression de mouton en série à la défaite pure et simple si l’on finit la partie avec le mouton noir dans son pré.
Les logos sont simples et évidents, pas de lettres, pas de chiffres.
Les logos sont simples et évidents, pas de lettres, pas de chiffres.
Angry Sheep. Sheep Guevara met le boxon dans votre pâturage. |
Je place le décor tout de suite à propos de mes filles : Elles n’aiment pas la difficulté dans un jeu et sont HYPER-compétitives. Ce jeu est donc l’occasion de jets de moutons en plastique (ils sont vraiment mignons) à travers la pièce et de cris de douleurs déchirants quand le mouton noir passe d’un pré à un autre. Mais c’est un jeu facile à sortir pendant que le rôti cuit dans el four ou que la pizza doit être livrée. Et c’est toujours drôle.
Black Market Warehouse est un autre jeu apéritif sympathique. Cette fois-ci, c’est un jeu de cartes. Chaque joueur doit remplir des contrats en piochant des cartes. On remplit le contrat en mettant le bon nombre de cartes dessus mais pour que ce contrat rapporte plus de points, il faut mettre les cartes exactes du contrat. On continue tant que tous les contrats n’ont pas été remplis.
Le jeu a une dynamique très très simple. On pioche, on place, on remplit un contrat, on jette le surplus. L’ambiance est hyper sympathique, les contrats sont représentés par des entreprises toutes plus illégitimes les unes que les autres avec des noms du genre “Blanchiment et associés”, “Nounefezonpadetrafic Inc”, les autres cartes sont illustrées de tous les clichés les plus marquants des objets susceptibles de trafic : pandas, débris d’OVNI, armes, fruits exotiques, tableaux. Enfin, certaines cartes sont des cartes d’interventions qui permettent d’introduire plus d’interaction entre les joueurs, que ce soit par la perte de cartes ou l’échange contrats.
Encore une fois, une mécanique simple, un jeu avec des interactions limitées qui permettent de limiter les ressentiments et les récriminations des enfants hyper-compétitifs. Le jeu s’installe en trois secondes et dure 15 minutes. Il est signalé pour 2 à 4 personnes mais il se joue facilement à 6 ou 8, il dure juste moins longtemps. Encore une fois, un jeu qui est basé sur le même genre de mécaniques que les 7 familles avec un petit bout de pouilleux et des maths très simples pour le score.
Enfin, Heroquest, le jeu que je ne devrais même plus avoir à présenter au lectorat de ce blog. Le Grand Ancien du jeu de plateau, sorti en 1989 aux USA et l’année d’après en France, est un modèle de simplicité et d’ambiance cheesy absolument délicieuse. Une bande de 4 aventuriers, un barbare, un elfe, un nain et un magicien doivent parcourir les sombres entrailles d’un donjon afin d’ouvrir des portes, tuer des monstres et piller les trésors. Le jeu est un vrai jeu des années 90. Simple, coloré, punitif. En effet les scénarii, au nombre de 14 dans le livre de base, sont très difficiles et requièrent une coopération sans faille entre les héros, ainsi qu’une gestion pointue des sorts à disposition des personnages ayant des compétences magiques, car il n’y a que 2 sorts de régénération et une paire d’objets pour faire revivre des personnages morts prématurément… Les monstres sont pléthore, les pièges multiples, les salles exigues et faciles à boucher. Il y a une vraie gestion du placement et des déplacements.
Le meilleur jeu des années 90 ? Oui, selon RPG Booster ! |
Tout cela se fait très rapidement et facilement. Le Maître du donjon devra se taper une bonne séance de lecture du livre de règle, assez riche mais les joueurs ont toutes les aides visuelles et graphiques possibles pour jouer rapidement sans se poser de question. Là aussi nous sommes en face d’un jeu des années 90 destiné au grand public : simple d’accès et avec tout le contenu de la boite utile, même le séparateur en carton comporte l’inventaire de la boutique pour équiper ses personnages ! Rien d’inutile ni de superflu.
J’y ai donc joué avec les gamines. Une réussite. Ce jeu est le meilleur point d’entrée vers le JdR pour les jeunes. Les jets de dés sont faciles, les caractéristiques simples, les fiches de personnages en version US bien plus intuitives que les versions FR (qui fumaient en rajoutant des détails inutiles). La première mission nous a pris deux bonnes heures à terminer mais toutes les salles ont été nettoyées de la vermine qui y rodait. Un personnage est mort et est revenu à la vie (cadeau du MD) et la gargouille s’est faites défoncée par un mage qui après n’avoir lancé AUCUN sort pendant toute la partie a décidé que lancer 5 dés d’attaques supplémentaires suffirait à faire un One Shot !!
Depuis j’ai ma grande qui veut tester D&D, ma moyenne qui écrit des contes sur les dragons et les vampires et la petite… Qui veut jouer aux moutons parce qu’elle aime crier “Viva la Revoluciòn !”
En commençant cet article, j’avais dans l’idée d’insulter les Kubenbois, mais les bons souvenirs générés par ces quelques parties m’ont permis d’être rempli d’amour et d’indulgence pour ces losers qui aiment faire de la comptabilité pour les maternelles.
Du coup, je n’insulterai pas les snobinards hipster du jeu de plateau qui regardent avec une condescendence teintée de mépris les joueurs de Uno ou de Monopoly parce que ces jeux ne sont pas aussi intéressant qu’un jeu de gestion comptable ennuyeuse comme Agricola ou Settlers of Catan, ou un jeu débilo-pipi-caca-prout comme Cards Against Humanity ou même un jeu de bluff pour neuneu comme Sheriff of Nottingham (bravo, les gars, vous avez inventé le pouilleux…).
Bref, je ne dirai pas de mal des feignasses qui se sont mis au jeu de plateau parce que cela va plus vite à installer alors qu’ils ont besoin de 8 boîtes, et d’installer des tonnes de cartes, pions, jetons, plateaux modulables et parfois même… figurines pour commencer une partie dont la résolution dépend d’une pioche heureuse.
Non, plutôt, je me réjouirai de la dilution des crétins remplis de préjugés prétentieux dans la masse croissante des joueurs de ce genre de jeux qui prennent simplement du plaisir à jouer à tout, sans se demander si les règles sont bonnes mais plutôt s’ils aiment le jeu. Je suis vraiment heureux de voir que mes filles accèdent à la culture geek par les portes qu’elles choisissent, sans préjugés.
Un de mes amis a l’habitude de parler de l’âge d’or du Geek. Je pense que nous sommes plutôt à un âge de fer. Nous avons eu la chance d’être formé à la geekerie par nos ainés qui ont créé des choses comme Star Wars, Star Trek ou Indiana Jones et nous ne faisons que puiser à cette source notre inspiration ludique et imaginaire. Et ce n’est pas forcément plus mal. Il faudra juste nous débarrasser de la sale habitude de nous enfermer dans nos groupes sociaux prédéfinis et nous ouvrir à d’autres cultures et d’autres choix, arrêter de brandir notre geekerie et nous définir comme des humains avec des goûts ludiques variés mais toujours amusants. Ce n’est pas gagné.