Je me suis récemment retrouvé dans trois situations ou mes interlocuteurs m’ont opposé la démesure, le “trop”, comme une raison à la négativité et au refus.
J’étais en train de parler d’un événement qui arrive bientôt, l’Iron Week organisé par VictoriaGame, une convention exceptionnelle parce qu’elle est la première intégralement consacrée aux Royaumes d’Acier en France mais aussi parce qu’elle dure… 6 jours ! Certaines personnes en sont même venues à dire, non par méchanceté mais par réelle incrédulité, que “c’était trop”.
La deuxième fois que j’ai eu affaire au “trop” est quand j’ai fini mon armée Cygnar. En effet, Exactement 2 ans après l’avoir commencé, j’ai peint tout ce que j’avais en Cygnar et même une belle partie de mes mercenaires.
Oui, j'en suis très très fier. |
En l’occurrence, c’est moi qui me suis demandé si je n’en avais pas trop. Surtout quand je vois que j’ai autant de Legion d’Everblight, de Crocos et de Mercenaires pirates à faire. Après, tout, l’on ne joue qu’en 50 points et 2 listes à la fois…
Enfin, la troisième occasion que j’ai eu d’être confronté à la démesure est dans la sortie récente de jeux de plateaux qui prônent l’intérêt de durées de jeu colossales ou de matériel pléthorique, ainsi que le retour dans mon feed de nouvelles de gens qui ont acquis des vieux jeux, de l’époque ou jouer 8 heures n’était pas une source de problème ou d’hésitation.
Cela m’a fait me poser une question simple, que je ne me posais plus : Peut-on s’amuser dans la démesure ?
Cela fait des années que le milieu du jeu rabâche une chose, issue de la réalité : les gens ont moins de temps pour jouer. Et veulent quelque chose de rapide et de facile à jouer. C’est d’autant plus vrai que les gens ont aussi moins de place pour jouer. Les associations ont de plus en plus de mal à avoir accès à des salles, les appartements deviennent plus petits car plus chers, les familles ont deux parents qui travaillent plus (malgré une réduction du temps de travail)… De fausses excuses.
Ce qui se passe c’est un phénomène qui touche tous les aspects du divertissement moderne : Certaines personnes zappent et n’ont pas de désir de concentration au delà du court terme. Il leur faut un produit calibré, rapide, avec du temps de cerveau disponible, avec des mécanismes simples, qui leur donnent l’impression de réfléchir sans se faire mal et leur donne la liberté d’arrêter à tout moment sans sentiments d’abandon ni d’échec.
Cela va même au delà, avec l’avènement de la “mobilité”, les gens veulent tout, tout de suite. Récemment Tric Trac a dû justifier le manque de couverture du Salon d’Essen lors du salon et dans les 3 jours qui ont suivi la fermeture de celui-ci, parce qu’ils voulaient prendre le temps de digérer les 800 (!!) produits qui y avaient été montrés. Si je comprends que BGG ou d’autres sites veuillent marquer leur territoire d’immédiateté de l’information, il n’empêche que d’autres sites, comme Tric Trac, essaient d’avoir une démarche plus sereine, plus cool, plus détendue mais aussi plus fouillée, plus complète, plus “intégrale”. Et cela ne plaît pas forcément à la masse grouillante qui veut juste pouvoir se faire une opinion en 3 minutes et oublier aussitôt pour passer à une autre opinion.
Pourtant, de façon cyclique, l’on trouve une niche dans la niche, une bande d’irréductibles Gaulois qui ont la volonté, la possibilité et la capacité de jouer différemment, à des jeux complexes, longs, chers et qui demandent de la part du joueur de transpirer. Des joueurs qui prennent du temps (beaucoup), de l’argent (énormément) et de l’espace (jamais trop mais toujours à la limite) pour faire des parties endiablées de jeux roboratifs.
Je joue énormément en tournoi. Le jeu est calibré : limite de point, horloge d’échec. C’est un vrai plaisir parce que le jeu est rigoureux et le format de tournoi exigent. Mais chez certains joueurs, cela crée parfois des tensions. ils ne veulent pas de cette pression, ni de ces limitations. Le jeu en campagne est nettement plus intéressant pour eux. Ils peuvent jouer ce qu’ils veulent, comme ils veulent, au format désiré et prendre le temps qu’ils ont envie de prendre.
Les formats de jeu Apocalypse ou Unbound de 40k ou Warmachine rencontrent toujours un certain succès, de niche, mais réel auprès de gens qui se disent que quitte à passer une journée à sortir tout le matériel, autant que cela vaille la peine. Diantre, je me souviens quand je découvrais la v2 de 40k, mon collocataire et moi-même réservions une table à feu- La Crypte du Jeu à Nice pour la journée et nous jouions 8000 points de batailles indigestes et déséquilibrée.
Je ne vois que le soleil qui poudroie et... OMG c'est énorme !!! |
L’immédiateté de nos autres loisirs, TV, cinéma, Jeux vidéos nous habituent à pousser un bouton et avoir ce que l’on souhaite rapidement. Nous limitons naturellement notre temps de recherche (personne ne zappe les 4000 chaînes de sa télé pour y trouver quelque chose), les VoD et les applications de chaînes permettant de regarder ce que l’on veut quand on le veut nous rendent plus impatients.
Pourtant le loisir figuriniste n’est pas cela. L’on prend le temps de coller, de peindre ses figurines. puis de faire des décors, des objectifs, des tables complètes… Et quand le jeu offre une alternative prépeinte, c’est bien pour nous permettre de jouer plus, plus grand, plus longtemps. Quand je jouais à AT-43, je préférais jouer des grosses parties, c’était tellement facile et l’effet de masse tellement plaisant.
Finalement, dans une société où nous tendons vers le moins (de poids, de pollution, d’espace…) la figurine pourrait être le dernier bastion irréaliste du toujours plus.
Alors oui, je suis le premier à me moquer des gens qui entassent du plomb pour le principe. Parce que je suis joueur, parce que je trouve criminel de ne pas exposer ses “pitous” et les utiliser pour ce qu’ils sont. Mais j’ai toujours une profonde admiration pour les gens qui se lancent dans la peinture de tonnes de socles de fantassins en 15mm pour l’ADG ou DBA (oui, je pense à Sandchaser lui-même, ce héros au corps d'athlète buriné et huilé) et les fous qui font des tables colossales pour jouer des parties qui durent 4 jours lors d’une convention, ou pour ceux qui assument leur loisir en collectionnant de façon encyclopédique toutes les références d’un jeu.
La légion meurt mais ne se rend pas. |
Pour en revenir à l’Iron Week, pourquoi les gens ont-ils l’impression de trop ? Pourquoi quand l’offre devient très généreuse, ont-ils l’impression qu’elle comporte un piège ? Dans un buffet à volonté, personne ne se demande s’ils doivent tout manger. Pourquoi cela arrive-t-il quand on parle de notre loisir ? Le geek se sentirait-il coupable de pouvoir s’amuser aussi longtemps ? Où est-ce simplement le syndrome du renard et des raisins de La Fontaine, inaccessibles mais “trop verts et bons pour des goujats” ? Je ne me pose plus la question, je me réjouis que certains viennent pour les 6 jours où que d'autres annoncent déjà prendre leurs vacances pour le prochain rendez-vous !
Tout cela pour dire que je suis en train de travailler sur une adaptation du système de Campagne Escalation de Warmachine MkI pour l’adapter à Warmachine ET Hordes MkII pour le Blogurizine et que ce n’est pas simple. Mais qu’à chaque nouvelle étape de cette adaptation qui “fonctionne”, je suis content de me dire que je peux jouer à ce que je veux, comme je le veux.
La prochaine fois, je parlerai sans doute du rose comme alternative au marron dans le hobby, ou pas.
Et vous, comment votre adoration pour la démesure s’exprime-t-elle ?